1884 PROCES EXUPERE GOUBIL

 

 
Quand un curé au prône admoneste ses paroissiens, spécialement les enfants, qu'il invite à suivre l'exemple des uns, à ne pas imiter la conduite de tel autre de leurs petit camarades, commet-il sérieusement une diffamation à l'égard de ces derniers ?
Monsieur Gaubil curé de Tréziers fut condamné par le juge de Paix de Chalabre à des dommages et intérêts contre deux petites filles soi-disant diffamées par lui dans l'exercice du culte au prône de la messes.
 
 
LE CONTEXTE
Cet affrontement se déroule dans un contexte on les  motifs de frictions entre les curés et la municipalité de Tréziers se sont développées crescendo depuis des années. Cela a commencé fin 1869 avec l'arrivée de l'abbé Pierre Laborgne.  Dés 1871 plainte du curé au Préfet à propos du presbytère. Ecurie et grange aménagée sans aval du maire. En 1872 tentative d'installer une école tenue par les sœurs de Saint Joseph...Dans le village c'est vite la guerre entre cléricaux et anticléricaux. Le maire demande à l'évêque le remplacement du curé Laborgne. Le conseil municipal menace de jeter ses meubles à la rue s'il ne part pas.
L'évêque cède. Un jeune curé de 30 ans Exupère Gaubil arrive fin 1875. Il est accompagné de sa mére Anthoinette Fouich veuve agée de 60 ans et d'un petit neveu de 12 ans
 
Le curé de la paroisse Saint Martin de Tréziers est également desservant de la paroisse Saint André de Corbières. Pendant la période Laborgne il semble que Corbières fut quelque peu délaissé. La mouvance anticléricale y prospérait.
1875 la commune comptait 139 habitants. La population du hameau du Cammazou,32 habitants, 7 familles dont une majorité de patronyme Bac, semble avoir eu des rapports difficiles avec le curé de Tréziers
 
Dans la première maison on trouve la famille de Bac Guillaume 67 ans : Margueritte Pascale Esperce son épouse 49 ans née à Ste Colombe sur l'Hers. Les enfants :  Auguste 23 ans, Marie 21 ans, Louis 18 ans, Françoise 15 ans, Lucie Thérèse 11 ans. Il y a aussi Jean frère de Guillaume 67 ans.
EXUPERE GOUBIL
Dés sa prise de fonction le jeune desservant de Corbières va chercher à corriger le laisser aller dans l'observation des sacrements : première communion, confirmation....
Jusque dans les années 1980, la confirmation en France était donnée obligatoirement un ou deux ans après la première communion et un ou deux ans avant la communion solennelle (ou profession de foi).
1876 premières injonctions:
Confirmation du 1er octobre 1876 seize enfants dont :
Bac Jean 12 ans (fils de Bac Pierre),  Bac Marie 37 ans (fille Etienne et Jeanne Barrot née à St Joulia), Bac Lucie 12 ans, Bac Françoise 16 ans (enfants de Bac Guillaume)
 
Ceux de ces enfants qui n’ont pas fait leur première communion doivent la faire le dimanche de la solennité de l’Epiphanie 1877
Année 1877 Communion Bac Lucie 13 ans
1879 Première communion Bac Eliacin 13 ans le 28 décembre à Corbières
Exupère Goubil avait semble-t-il matière à ce plaindre de relâchements dans les pratiques religieuses des enfants du Cammazou.
Le journal La Loi rapporte:
Vers la fin de 1880 et au commencement de 1881, le sieur Exupère Gaubil, (curé de Tréziers), desservant de la paroisse de Corbières, aurait dit à plusieurs personnes que les filles Bac étaient des filles publiques, qui faisaient de la maison de leur père un lieu de prostitution; et dans le courant du mois de mars 1881,  la même sieur Gaubil, faisant la prône dans l'église de Corbières, aurait dit en désignant les filles Bac, assises au deuxième rang des chaises : : "les filles sœurs qui sont au deuxième rang des chaises ont tenu des propos comme en tiennent seules les filles publiques"
Guillaume Bac, leur père, considérant sa famille mise au piloris, ecouragé certainement par son entourage, demanda réparation devant le juge de paix de Chalabre.
C'était le début d'une saga judiciaire qui ira jusqu'au Conseil d'Etat.
Le prêtre est déféré devant le Juge de Paix de Chalabre. Le 21 mai 1881 il est condamné à 100 francs de dommages et intérêts.
Il fait appel auprès du tribunal de première instance de Limoux. Par jugement du 1er aout 1881 la décision du juge de paix est réformée et le tribunal sursis à statuer sur le fond....
Le sieur Bac s'adresse au Conseil d'Etat pour qui se prononce sur ce cas d'abus...
EXTRAITS DE COMPTES RENDUS DE LA PRESSE
Quand un curé, au prône, admoneste ses paroissiens, spécialement des enfants, qu'il invite à suivre l'exemple des uns, à ne pas imiter la conduite de tels autres de leurs petits camarades, commet-il sérieusement une diffamation à l'égard de ces derniers ?
 
Le tribunal civil de Limoux vient de résoudre négativement cette question. Il s'en trouvait saisi sur l'appel que l'honorable curé de Treziers, M. Gaubil, avait interjeté contre la décision d'un juge de paix, quelque "voltairien de village", qui l'avait condamné à des dommages-intérêts contre deux petites filles,
Suivant ce jurisconsulte émérite, le décret de la Défense nationale du 19 septembre 1870 qui a. comme on sait, supprimé la nécessité de l'autorisation préalable du Conseil d'Etat en matière de poursuites contre les fonctionnaires, serait applicable au ministre du culte, et la déclaration d'abus ne serait plus indispensable à l'égard de ces derniers.
Le tribunal a réformé comme il convenait cette décision rendue ce sont ses termes « en violation des principes les plus certains du droit .
Il a reconnu, ce dont il y a lieu de le féliciter, que les ministres du culte n'étaient pas des fonctionnaires, des agents du gouvernement, « qu'en effet, leur ministère est exclusivement religieux et d'un ordre purement spirituel, qu'ils ne sont revêtus d'aucun caractère civil, qu'ils ne sont ni Institués, ni révocables par le gouvernement, que le décret de 1870 leur est donc complètement étranger et qu'ils restent soumis aux dispositions du 18 germinal an X.
Or, d'après cette loi, toute infraction commise par un prêtre dans l'exercice du culte, doit être précédée d'une déclaration d'abus, prononcée par le Conseil d'Etat avant de pouvoir donner lieu à quelque poursuite que ce soit devant les tribunaux tant correctionnels que civils.

On soutenait, en effet, que si le recours préalable au Conseil d'Etat était exigé en cas de poursuite correctionnelle, il n'en était pas de même quand la demande en dommages-intérêts était comme dans l'espèce formée devant la juridiction civile.
Le tribunal a également rejeté cette théorie arbitraire et qui offrirait un moyen trop commode d'esquiver la prescription de la loi de germinal

Notre enragé plaideur s'est effectivement pourvu devant le Conseil d'Etat qui rejetait sa requête comme irrégulière, puis une seconde fois devant, ce même tribunal de Limoux qui le déboutait définitivement de sa demande.

SOURCES :
Journal le Temps 28 septembre 1884
Bulletin des Lois de la République Française
Journal La Loi 08 octobre 1884
Journal La Croix

01/10/2022