LE PREMIER RESEAU D'EAU POTABLE

 
Le 15 octobre 1893 le maire Pierre Faure et son adjoint François Luga, élus un an plus tôt, présentent au Conseil Municipal leur projet d'alimentation du village en eau de source.
 
« Monsieur le Maire expose les dangers que fait courir à la santé publique l'alimentation du village par le seul puits de la commune. Ce puits n'a pas de source. Les eaux proviennent des terrains avoisinant, couverts en grande partie de trous à fumier. De plus, il est à sec six mois dans l'année. D'où l'avantage que la commune retirerait à construire une fontaine publique alimentée par une source. »
 
Pierre Faure proposait de capter une source située à la Serre et d'amener son eau jusqu’au village. M. Vaïchére, architecte à Chalabre, serait chargé de l’étude, des plans et du chiffrage des devis.
Le projet ne manquait pas d'à propos. Nous l'avons déjà signalé, le manque d'eau était chronique à Tréziers pendant prés de la moitié de l'année. Les quelques puits, notamment le puits de Perry le seul communal, étaient fréquemment pollués par les purins venant des étables et des fumiers.
En cette fin de siècle les problèmes sanitaires intéressaient de plus en plus les élus. L'enseignement de l’hygiène à l’école, faisait qu’une plus grande partie de la population était sensible à la qualité de l'eau potable. A Tréziers le rôle de l'instituteur, Julien Alard, fut certainement important; ce d’autant plus qu’il assurait le secrétariat de la mairie. Les conseillers municipaux écoutaient volontiers ses avis.
 
Il y avait peu, pendant l’hiver 1890, une épidémie de fièvre typhoïde avait frappé le village. C’était précisément la saison, ou après les pluies d’automne, les puits se remplissaient après leur étiage. Fini des corvées d’eau de l’été, les habitants revenaient au puits communal. En quelques semaines neuf personnes, quatre jeunes gens et cinq adultes plus âgés décédèrent. Les familles Bonnery, Carrié, Deumié, Fabre, Lagarde, Méric, Sicre, furent endeuillées. Par le jeu des liens de parenté c'est quasiment  tout le village qui était frappé par le deuil.
 
La recherche d'une source capable de fournir, en quantité suffisante, une eau non polluée, devenait une priorité pour la nouvelle équipe municipale.
 
On se lança dans l’inventaire des points d’eau disponibles. Après mure réflexion les conseillers jugèrent que c’étaient les sources de la Coume del Poux, situées à la Serre, qui étaient les plus aptes à être utilisées :
« Depuis que les habitants connaissent ces sources, ils sont unanimes à reconnaître que leur eau est excellente et suffisamment abondante pour alimenter le village » Déjà en 1763 on mentionnait la Font nouvelle au dessus de la Coume del poux à la Serre dans les reconnaissances seigneuriales. Cela témoigne de la lointaine utilisation de ces sources. Depuis longtemps un puits avait été creusé en ce lieu.
 
Le débit de la source principale de la Coume del poux fut estimé à quatre litres par minute en été et à vingt litres par minute en hiver. On pouvait espérer un minimum de cinq mètres cubes par jour. L’eau serait conduite par une canalisation jusqu'au village. Elle d'alimenterait un abreuvoir et une borne fontaine.
Une première estimation du coût du chantier fut présentée par l’architecte. La commune devrait emprunter huit mille francs, remboursables sur vingt cinq ans. Le maire comptait obtenir de l'Etat une subvention d’au moins quatre mille francs.
 

Pendant des semaines le projet va alimenter de nombreuses discutions dans le village. Les esprits s’échauffent, engendrant même quelques disputes. Si beaucoup se disaient pour, comme toujours, d’autres s’affichaient contre. On ne sait si c’est par esprit d'opposition ou par sens critique, une poignée de citoyens contestataires exposaient violemment leur scepticisme. Ils mettaient en cause le sérieux du projet. Le menuisier Jean Bernard Sérié, ancien maire, doyen des conseillers, en particulier, entra en guerre contre le maire Pierre Faure et sa majorité. Il refusa de se rendre aux réunions du Conseil Municipal. Le Préfet mis au courant de ces incartades le somma de siéger. Loin d’obtempérer Sérié devint de plus en plus en plus agressif. Par lettre adressée aux autorités il accusa la municipalité d’être réactionnaire. Il traitait le maire d’ignorant. Il lui reprochait de se laissait mener par son secrétaire M. Allard. Il réaffirmait sa ferme opposition au captage de ces sources, au motif que leur débit ne serait pas assez important pour subvenir aux besoins du village.
La séance du 29 avril 1894 fut décisive. Tout le conseil municipal fit bloc derrière le maire. Il lui témoignait « la sympathie de la commune pour sa gestion qui satisfait la population ».

 
 
 
 

En quelques semaines le projet prend forme. Il est décidé le captage de deux sources.
Des tuyaux en poterie conduiront l’eau jusqu’à un bassin de captation au bas de la « coume del poux » Celui ci est encore visible, tout particulièrement en hiver, lorsque la végétation et les broussailles sont moins exubérants. A partir de ce bassin une canalisation en fonte  doit emmener  l'eau par gravité jusqu' au village. Un réservoir de distribution de vingt deux mètres cubes doit être édifié dans la partie la plus haute du village au bord de la route de Chalabre. De là l'eau sera distribuée par un bassin abreuvoir construit place de la mairie.

 

 

A la demande de conseillers, qui relaient les demandes de leurs administrés, il est décidé d’installer en plus une borne fontaine à « l’endroit le plus populeux du village ».

Le fait de ne pas avoir décidé dés la conception du projet, avec suffisamment de précision, des lieux d’implantation deviendra source de confits. Chaque quartier se considérant la partie la plus peuplée revendiquera la borne fontaine. Après d’interminables tractations un accord se fera. La place de la mairie aura le bassin abreuvoir, le quartier de Lhoumet la fontaine.

 
En mai 1894 l’enquête publique est lancée. Aucune opposition sérieuse ne se manifeste. En décembre l'acquisition des terrains est votée. La parcelle devant recevoir le bassin de captation est acheté à Bénet, celle du réservoir de distribution à Faure. Des arrangements avec les propriétaires des terrains devant être traversés sont conclus. Il est promis que les travaux ne se feront qu’après l'enlèvement des récoltes.
 
Le 04 mars 1895 le Comité consultatif de l'hygiène publique en France examine le rapport de l'expert désigné M. Jacquet qui prévoit une dépense de 8000 francs

La commune a souscrit un emprunt de 8000 francs à 3,80% auprès de la caisse des dépôts et consignations, sur 25 ans.

 
Le dossier élaboré par l’architecte M. Philippe Vaichére est approuvé par arrêté préfectoral du 26 mai 1895. Ce document décrit l’ensemble des travaux à effectuer, avec les normes à respecter, la qualité des matériaux à utiliser. Les moellons nécessaires à la construction des ouvrages seront extraits dans la commune. Deux parcelles sont retenues : à la Serre chez Gabriel Bonnéry et à la Mouliniére chez Etienne Toustou. La pierre de taille proviendra des meilleurs bancs d’une carrière située à Laillet appartenant à Louis Chaubet. Le sable et les graviers viendront de l’Hers. Le mortier sera élaboré avec soin sur une aire de planches dans la proportion de trois cents kilogrammes de chaux du Teil  de Lafarge, pour un mètre cube de sable. Les enduits en ciment seront exécutés avec du ciment de Portland de la Porte de France à Grenoble, dans les proportions de moitié sable et moitié ciment. Les tuyaux en poterie de terre cuite viendront des fours de Mandeville et Combéléran à Castelnaudary. La tuyauterie en fonte et la robinetterie proviendront des établissements Chappée au Mans ou de Fumel.
 
 
La procédure d’adjudication est lancée. Des affiches sont apposées dans les principales communes de l’arrondissement. L’adjudication des travaux se fera par voie de rabais, sur devis estimatif de soixante quatorze mille francs. La soumission cachetée ne pourra être validée qu’après remise de certificats de capacité et le versement d’une caution de deux cent cinquante francs au receveur municipal.
 

Le dimanche 28 avril 1895 le maire Pierre Faure préside la commission dans la salle de réunion de la mairie.  Elle comprend les conseillers François Luga et Gabriel Bonnéry, le percepteur M. Groc, l’architecte M. Vaichére.  A l’heure dite le maire annonce au public réuni devant la porte qu’il va procéder à la réception des enveloppes de soumission

Sept candidats se sont présentés. Ils remettent leurs dossiers au président qui les numérote. Le bureau examine la validité des pièces justificatives. Afin d’assurer le secret de la délibération, il est demandé aux concurrents de sortir de la salle. Le président après avoir consulté le bureau décide de rejeter un dossier non conforme. Six candidats  sont donc admis à concourir.

La séance redevient publique. Le président proclame à haute voix la liste des concurrents retenus : Jean Clanet de Puivert, Arnaud Pierre de Puivert, Jean Fauré d’Escueillens, Baptiste Capis de Saint Jean de Paracol, Casimir Ribes de Caudeval et Philippe Galtier de Corbiéres.
Il procède ensuite à l’ouverture des enveloppes. C’est Arnaud Pierre  de Puivertqui enlèvera le marché avec un rabais de 26%

Le chantier peut commencer.
Petit contretemps, l’entrepreneur s’aperçoit très vite qu'un certain nombre de travaux et de fournitures n'ont pas été prévues dans les devis. On n’a pas pensé au calage des tuyaux par de la maçonnerie. Il manque les tuyaux de plomb pour l'abreuvoir et les fontaines, les portes en fer, des regards… Cela représente un surcoût de trois cents francs.
 
La mise en eau intervient le mardi 10 décembre 1895.
Le Maire réunit les conseillers pour faire le point sur le chantier. Il annonce quelques déconvenues. Elles semblent donner raison aux opposants de la première heure.
Les travaux de terrassement ont-il influé sur l'écoulement souterrain des eaux ? A-t-on été trop optimiste sur les débits attendus? « Lorsque le projet à été fait, il y a maintenant deux ans, la source donnait quatre cent centilitres par minutes. Elle ne donne maintenant que cent trente centilitres par minute » Cela fait le tiers de ce qui était attendu. « Cette quantité d'eau est à peine suffisante pour remplir le bassin du village. La borne fontaine de l'Houmet ne pourra être alimentée »
Il explique qu’il a pris conseil auprès du Préfet et de l'architecte. On lui a recommandé de supprimer cette fontaine.
 

Aussitôt, c'est le conflit. Les conseillers et l’adjoint, Gabriel et Hyacinthe Bonnery ainsi que François Luga,  représentant le « Barry de bas »  votent contre. Ils menacent de démissionner. La moitié du village les soutiens et proteste.
Le maire appelle l’architecte à son secours pour dénouer le conflit. M. Vaïchéres se déplace à Tréziers le dimanche vingt quatre novembre. Après avoir écouté les doléances des conseillers, il imagine une solution qui devrait calmer les esprits. La fontaine de l'Houmet serait conservée. Néanmoins elle ne serait plus branchée directement sur le réservoir de distribution, mais sur le bassin abreuvoir. Un tuyau partant de la cavité aménagée au centre du fût en pierre central, qui répartit l’eau entre les deux têtes de lion coulant dans le bassin, recueillerait le trop plein. Ce dispositif tout en donnant la priorité à l’abreuvoir permettrait l’arrivée de l’eau à la place de l’Houmet.
On s’en rendras compte par la suite que c’était un compromis « politique » Le dispositif  ne fonctionnera jamais de manière satisfaisante.

Après ces quelques péripéties le chantier arrive à sa fin. Le mardi 13 juillet 1897, la veille de la Fête Nationale, à lieu la réception définitive des travaux. Le maire Pierre Faure accompagné de l'architecte Philippe Vaïchére et de l'entrepreneur Pierre Arnaud de Puivert « se sont portés sur tous les points de la canalisation et des fontaines publiques pour examiner et vérifier les travaux »
 

 
La mise en œuvre du projet de distribution d'eau potable aura coûté aux alentours de sept mille francs à la commune y compris les sept cent vingt six francs d'honoraires.
L'équipe municipale peut être satisfaite. Le bassin abreuvoir édifié sur la place de la mairie a fière allure. Il se compose d’un bassin circulaire de quatre mètres de diamètre  et d’une colonne centrale monumentale de trois mètres. Les bordures du bassin sont en blocs massifs taillés dans du grés fin. Leur lèvre est arrondie Elles sont galbées avec deux nervures qui gomment l’aspect massif de l’ouvrage. Au centre du bassin est posée une colonne monolithique à quatre faces taillée, elle aussi dans du grés dur. Elle supporte une pyramide en escalier coiffé d’un globe. Sur les quatre cotés de la colonne l’architecte a prévu des mascarons à tête de lion. Ceux du coté est et ouest laissent échapper de leur gueule une goulotte qui s’avance vers la margelle, afin de permettre de remplir les cruches.
Désormais le village de Tréziers dispose de fontaines distribuant une eau de source de bonne qualité.
Cependant on est bien loin des quantités espérées. Les sources n’arrivent pas à remplir entièrement le réservoir de distribution. L'eau n’apparaît que très rarement à la borne fontaine de l'Houmet. Lorsque par bonheur elle coule, ce n’est qu'un mince filet.
 

 
Pour gérer au mieux la pénurie chronique il fut décidé d’engager un fontainier. Ce fut une « fontainière ». Félicie Faure épouse Sarda. Elle fut chargée d'ouvrir la vanne du réservoir de distribution à neuf heures le matin. Elle attendait que le bassin soit rempli pour la refermer aussitôt. L'eau potable n’était disponible qu’à ce moment là.  Aussi, bien avant l’heure prévue, les femmes du village se regroupaient autour du bassin avec des cruches ou des seaux. Celles du bas du village étaient souvent les premières arrivées. Elles ne voulaient pas attendre que l’eau coule à la fontaine de l’Houmet. Elles disaient que le réseau était bouché et que l’eau n’arrivait jamais au bas du village. C'était souvent des chicanes sans fin pour être la première servie. Les anciens m'ont rapporté de fameuses  prises de bec entre « la Bérète » qui demeurait auprès de l’église et « la Trastète » qui habitait non loin du bassin.
 
Le réseau fonctionnera une vingtaine d'année sans autres problèmes. Hélas en ce monde rien n’est définitif. Au cours des ans les sources de la Serre vont fournir de moins en moins d'eau. Un jour d’octobre 1919 le réservoir du haut de Tréziers reste désespérément sec. Le 30 novembre le maire Antoine Laffont convoque les conseillers : « Des travaux très urgents doivent être faits, sans retard. Le village est sans eau depuis un mois. Cela concourt pour une large part à l'épidémie qui sévit dans le village » En effet suite à la déficience du réseau d’eau potable les habitants utilisaient à nouveau l'eau des puits, laquelle était toujours autant polluée. La fièvre typhoïde était de retour.
 
Rapidement des travaux sont entrepris sur la canalisation qui fuit en plusieurs endroits. Le maire fait appel à la main d'œuvre locale. Armés de pioches et de pelles les volontaires vont réparer l’ouvrage. Bientôt l'eau coule à nouveau. Mais elle ne couvre plus les besoins de la population. Pire, elle devient de moins en moins abondante.
 
 
Clément Luga né en 1928 témoigne (12/2017) de cette situation qui va perdurer jusqu'à la réalisation d'un nouveau réseau sous l'impulsion du maire Élie  Sérié : "Au milieu des années trente j'aidais ma grand-mère dans la corvée quotidienne de l'eau. Au bassin sur la place de la mairie, il fallait des heures avant de pouvoir remplir un seau, tant le filet qui coulait là était maigre. De plus il y avait la queue.  Les premières arrivées étaient les premières servies. La fontainiére, Félicie, veillait à ce qu'il ne soit pris qu'un seau par famille. Aussi j'accompagnais ma grand-mère qui avait trouvé un pis aller. Elle me confiait deux petits seaux, prenait les siens et nous allions à la fontaine de la nation, à prés d'un kilomètre de la maison".

ISSN : 1626-0139 

22/02/2023

 
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