Notre Dame de Tréziers
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Une ancienne dévotion sauvée de l'oubli
L'existence de
la statue de Notre Dame de Tréziers, depuis longtemps disparue, qui n'était
qu'un lointain et vague souvenir, m'a été révélé, tout récemment grâce à
Internet. |
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Le témoignage des anciens
Les témoignages que
j'ai recueillis viennent de Yvonne Alabert et Noël Faure. Tous deux
adoraient raconter les histoires du passé de Tréziers que leur avaient
transmis les générations précédentes c'était la mémoire vivante du village.
Maintes fois j'ai eu le plaisir d'écouter leurs récits. Ils les avaient
recueillis des anciens lors des veillées au coin du feu. A mon tour je les
transmets en les complétant avec des éléments puisés dans des sources
écrites. |
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Notre Dame de Tréziers
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Avant la
révolution de 1789 il y avait dans l'église paroissiale de Saint Martin de
Tréziers une petite statue en bois, une vierge à l"enfant. Elle mesurait
environ deux "empams". Si Saint-Martin était le saint tutélaire de la
paroisse, Notre-Dame de Tréziers, qui faisait l'objet d'une grande
dévotion, était considérée comme la protectrice des seigneurs de Tréziers.
Elle avait sa place dans l'église depuis tant de générations qu'elle
semblait y être depuis l'origine de la paroisse.
Lors de la période tragique des guerres de religions du 16éme siècle la
famille Cazalet qui possédait le château se trouva écartelée entre les
deux partis, catholiques et Protestants. Le fils cadet avait rejoint la
cause réformée, qui honnissait les dévotions à la Vierge et aux Saints.
Dans un accès de violence sectaire il fit disparaître la statue de
Notre-Dame de Tréziers. Elle devait être rapidement remplacée par une
petite statue en plâtre blanc.
Au milieu du 17éme siécle la famille de Cazalet disparaît de Tréziers. La
branche catholique comprenant que des gens d'église n'a plus de
descendance. La branche protestante s'est exilée en Angleterre. La
seigneurie est vendue.
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Au début du 18éme de riches
bourgeois, les Trinchant, possèdent le château et ses terres. La
châtelaine Antoinette Trinchant, née La Salle, fréquente assidûment le
château de Lagarde tout proche qui est la résidence habituelle des Lévis
de Mirepoix. Cette grande famille vénérait tout spécialement la Vierge. Ne
disaient-il pas qu'elle était leur cousine ? Ils prétendaient descendre
comme elle de la tribu de Lévy ?
Bientôt un drame se noue au sein de la famille Trinchant. Le 17 août 1726
Antoinette accouche de jumeaux. La naissance est difficile. Le curé
Montsarrat est appelé pour leur donner l'eau du baptême. La mère implore
la Vierge. Le garçon ne survivra pas. Il meurt le lendemain. La fille,
elle, sera sauvée. Elle sera baptisée et recevra le nom de Jeanne Roze.
Pour remercier la Vierge, Antoinette fait le vœu de remplacer la modeste
statue en plâtre par une oeuvre plus digne de son rang
Elle va s'employer, par l'intermédiaire de la Maréchale de Mirepoix, à
acquérir une statue de la Vierge à l'Enfant. Elle aimerait bien obtenir
une copie de la vierge des Lévis. Mais il n'est pas facile de trouver un
artiste capable de la réaliser. En définitive elle obtiendra par ses
relations une jolie statue en bois ciré qui est aussitôt placée dans
l'église de Tréziers. La petite figure en plâtre qu'elle remplace est
installée dans une niche sur la façade méridionale du château. |
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Vient la tourmente
révolutionnaire. Dans un premier temps Tréziers est épargné. Puis ce fut
le temps des réquisitions. Des "révolutionnaires" de Chalabre emportèrent
les cloches, confisquèrent les statues de Saint-Martin et de Notre-Dame.
Le15 prairial an 2 de la République le château avec ses terres ainsi que
la métairie d'Autajou furent vendus comme biens d'émigré à un sieur
Bernard Espert. Lorsque les temps furent plus calmes, après le Concordat
de 1801, la vie religieuse reprit. On demanda au nouveau propriétaire qui,
bien que le temps des privilèges soit révolu, voulait qu'on le considère
comme le châtelain, de remplacer la statue disparue. Bon gré mal gré, une
figure de la Vierge en plâtre blanc fut achetée et placée dans l'église.
De nouveaux troubles s'annonçaient. Considérant qu’elle était sa
propriété, Espert l'a mit en sûreté dans son château. Elle devait y rester
longtemps.
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Il faudra attendre le début du vingtième siècle
pour entendre parler à nouveau de la statue volée. On était à la veille de
la guerre de 14/18. Le curé de Tréziers, l'abbé Cambriels, fut contacté
par une personne de sa parenté, qui prétendait avoir retrouvé la statue de
Notre Dame de Tréziers. Elle était à vendre. Elle fut présentée au prêtre
et à un représentant du conseil de fabrique. Il s'agissait d'une petite
statue en bois de la Vierge à l'Enfant. Elle était mutilée. Les bras de
Jésus étaient brisés. Sur le socle il était écrit : "Notre Dame de Trézier".
Il manquait la lettre "s" terminale au nom du village.
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En ce début du vingtième siècle il
n'existait plus, bien sur, aucun témoin direct pouvant l'authentifier. De
plus le propriétaire de l'œuvre en demandait une somme assez importante.
La paroisse n'était pas riche. Les caisses du Conseil de Fabrique étaient
vides. Dans le doute, quant à son authenticité, il est décidé de ne pas
l'acheter. |
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Une rencontre fortuite
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Je
ne pouvais imaginer que bien longtemps après je serais amené à rencontrer
l'image de Notre Dame de Trézier. C'était au début des années 1980. Je
participais à au concours d’été organisé par un hebdomadaire. Il
s'agissait d'identifier des monuments dont la photo était publiée dans la
revue. Lors de mes recherches en bibliothèque, en feuilletant un ouvrage
consacré aux monuments religieux bretons et normands, je tombais sur une
photo en noir et blanc d'une statue légendée : "Notre
Dame de Trézier XVI°".
Il était expliqué qu'il s'agissait d'une œuvre du patrimoine breton
appartenant à une collection privée. On ne donnait aucune précision sur
l'auteur et l'origine de la sculpture. J'empruntais le livre pour montrer
la gravure à mon père, Noël Faure. Elle correspondait bien aux
descriptions de celle présentée au curé de Tréziers.
Pourtant encore une fois le doute était permis. L'auteur du livre
certifiait qu'il s'agissait d'une œuvre du patrimoine breton. L'affaire
était
entendue, ce ne
pouvait être Notre Dame de Tréziers(avec un s) diocèse de Mirepoix.
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La "révélation" : la statue retrouvée
Quelle ne fut pas
ma surprise de recevoir le 12 juin 2000 au soir du lundi de Pentecôte, le
message suivant :
Objet :
Statue Notre dame de Tréziers.
Très intéressant site sur Tréziers. Peut être allez vous pouvoir m'aider :
je possède une statue de Notre Dame de Tréziers qui daterai du XVI
(probablement une reproduction). Malheureusement ses mains ont été brisées.
Je cherche donc une photo afin de pouvoir la faire réparer par un ébéniste.
Si vous avez accès à un tel document ou possédez plus d'information à son
sujet, je vous serai très reconnaissant de me les communiquer. Cordialement.
Jean Paul D.
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En suivit un échange de
correspondances.
Jean Paul D. m'apprit que la statue était la propriété de sa tante Madame
L. qui habitait à Rennes. Je lui demandais des précisions sur l'origine de
ce bien.
C'est Madame L. qui me répondit, m'envoyant une photographie en couleurs de
la statue. Elle représentait bien la vierge à l'enfant que j'avais vu,
autant que ma mémoire fut fidèle, dans les années 1980. Le Jésus présenté
sur le bras gauche de Marie, ses petites mains mutilées, l'inscription sur
le socle. Le doute n'est pas permis.
Mme L. me précisait : " Cette statue est dans ma famille de mon mari depuis
au moins trois générations. Le grand-père de mon mari aimait beaucoup faire
les antiquaires. Mais je n'ai aucune certitude pour vous affirmer que la
statue est arrivée dans notre famille par son intermédiaire".
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De tout cela,
on peut raisonnablement déduire que Mme L. possède vraisemblablement la
statue présentée au curé de Tréziers dans les années 1900. Après son refus
de l'acquérir, le vendeur à trouvé pour preneur, soit un antiquaire, soit
directement le grand-père de Mme.L. |
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S'agit-il de Notre
Dame de Tréziers
Au
premier examen on lit sur le socle Trézier. Mais à y regarder plus
attentivement on voit que la crosse du "r" terminal se poursuit par un petit
"s" peu marqué. Cette façon de graphier le "r" terminal de Tréziers est
courante dans les actes paroissiaux (BMS) de Saint Martin de Tréziers au
début du 18éme siècle. |
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Socle de la
statue |
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Signature de
l'abbé Montserrat curé de Tréziers (1703)
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ISSN : 1626-0139
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25/06/2023 |