CROIX DES ROGATIONS

 
Parmi les œuvres modestes, souvent oubliées, les croix ont une place toute particulière. Elles témoignent d’un passé, pas si lointain, de ferveurs religieuses. On les rencontre habituellement à un carrefour. Des cortèges, curé et enfants de chœur en tête, lors de fêtes religieuses venaient les honorer.
 
Les processions des Rogations étaient les plus fréquentées. Dans la région, comme dans toutes les provinces de France, elles se sont perpétuées, venant de la nuit des temps. En Languedoc, au dix neuvième siècle, généralement les trois premiers jours du mois de mai y étaient consacrés. En d’autres contrées, elles étaient fixées à des dates autres, mais toujours au printemps. Il est établit que cette fête chrétienne se serait substituée, il y a très longtemps, à d’anciens rites agraires de fécondité et de protection des récoltes.
 
A Tréziers c’était les trois jours précédant l’Ascension qui y étaient dédiés.
Le premier jour était consacré aux prairies et aux pâturages, le second aux grains, le troisième à la vigne.
La procession se déployait en cortège dans le village décoré. De bon matin les plus jeunes avaient cueilli des fleurs dans les champs et le long des talus. Les roses des jardins avaient été sacrifiées. Arrangées par des mains expertes, elles embellissaient les rues. Auparavant les chaussées avaient été nettoyées, soigneusement balayées. Des foisonnements de branchages de buis et de lilas aux grappes de fleurs odorantes mettaient en valeur l’itinéraire réservé à la procession. Au pied de chaque croix de pierre, des reposoirs fleuris étaient installés.
Tout de suite après l’office la procession s’ébranlait. Porteur de croix en tête, curé, enfants de chœur et fidèles, cheminaient vers les croix protectrices. Après les chants et les prières, l’abbé bénissait les cultures.
 
LE RECTEUR ROUANET
 
A milieu du 17éme siècle le recteur Rouanet, curé de la paroisse de Saint-Martin de Tréziers, consigna l’installation de quatre de ces croix, dans le cahier servant à enregistrer les baptêmes les mariages et les sépultures.
 
JEUDI 03 MAI 1663
« Mémoire sera, que le troisième may jour de la Sainte Croix de l’année 1663, nous recteur de Tréziers soussigné nous nous transportâmes en procession planter la croix à la molino à vent, que nous avons plus tôt bénite dans notre église avec les cérémonies ordonnées par la permission que Monseigneur Louis de Lévis évêque de Mirepoix nous a donnée. Le jour de la Sainte Croix nous avons fait procession en l’église de Tréziers et de Tréziers à ce lieu avec tous nos paroissiens. Que toutes les années sera faite la même procession, le même jour afin qu’il plaise à Dieu nous construire les fruits de la terre… »
La molino à vent, ou le « mouli del vent », sur la route qui vient de Moulin Neuf, vers la borde de l'Hercule. L’endroit a toujours été particulièrement venteux.
Il est possible qu'elle fut plantée au croisement de la route de Mirepoix et du chemin des Rouquatiéres. Elle a du être remplacée par la croix de l'Hourtet en 1837
 
En 1664 Pâques était le 13 avril. L'Ascension venait 40 jours plus tard, le 22 mai. Les trois jours qui précédaient cette fête étaient les Rogations. Il s'agissait alors de rituels visant à protéger le village. Le prêtre bénissait les animaux, les étables, les champs, en demandant à Dieu de protéger les récoltes. Cette procession qui suit la messe rassemble les paroissiens qui entonnent des cantiques, croix en tète
 
DIMANCHE 18 MAI 1664
CROIX DES POURROUGES
Actuellement connue sous le nom de Grande Croix
La première croix, dressée le dimanche 18 mai 1664 à 9 heure du matin, à l'est du village fut la croix des Pouroutges. Elle se trouvait probablement au carrefour de l’ancienne route de Peyrefitte et du chemin de la métairie d'Autajou. Elle était proche de la limite est de la paroisse puisque la métairie de l’Espagnol dépendait de Saint-André de Corbières. Le chemin d’Autajou a disparu, mais il y a toujours là une croix appelée « la croux grande » (hauteur 128 cm, largeur 60 cm) Le lendemain la procession des Rogations s'y rendit.
 

 
MARDI 20 MAI 1664
CROIX DE BOULZANNE
La deuxième croix, but de la procession du mardi 20 mai 1664, était à l’ouest du village, coté Cers, au lieu dit de Boulzanne, au carrefour de la route de Tréziers à Mirepoix et du chemin de Camon au moulin neuf. Il s’agit du moulin banal sur la rivière de « Lers » appartenant au seigneur de Mirepoix. Avant d'atteindre la croix de Boulzanne la procession faisait une halte à la croix du mouli del vent.
La croix de Boulzanne était encore visible dans les années 1960. Elle aurait été détruite par les engins agricoles travaillant les champs limitrophes. Celle du Mouli del vent a disparu depuis bien longtemps. A la fin du vingtième siècle aucun des anciens du village ne se souvenait pas d’elle.
 

 
MERCREDI 20 MAI 1664
CROIX DU CAZALET
La troisième croix, qui motivait la procession du mercredi, était plantée au sud du village, au Cazalet, au carrefour de la route de Camon et du chemin de Malematte. Cette croix est toujours là.
 

 
JEUDI 21 MAI 1664
CROIX DU PAS DE CAUDEVAL
Le jeudi 22 mai, jour de l'Ascension, ainsi que la paroisse à coutume de faire tous les ans, une procession est allée au pas de Caudeval ( Nord du village). Une quatrième et dernière croix de procession est installée. Ce qui fait, comme le note le curé Rouanet: " quatre croix de pierre aux quatre vents en remplacement de croix en bois toutes pourries".
La croix actuelle dite du "pas de Caudeval", est celle qui a été restaurée dans les années 1980 par messieurs Gabriel Chiva et Noél Faure. Elle date de 1783
 
A PROPOS DU RITE DES ROGATIONS
Nous avons là les témoignages tricentenaires sur le rite des rogations dont l’origine est bien plus ancienne. Les historiens fixent l’appropriation d’anciennes pratiques païennes, par  l’église chrétienne, au cinquième siècle.
Ces processions invoquaient la puissance divine  afin d’obtenir sa protection aux fruits de la terre. A Tréziers au 17eme siècle nous voyons le recteur Rouanet, lui, demander à Dieu de bien vouloir « construire »les fruits de la terre. C’est l’appel à une divinité créatrice dont l'action se perpétue dans le temps. Dieu continue à créer et construire. On le devine, le culte chrétien s’est substitué aux rites de fécondité de la terre nourricière.
Le signe chrétien de la croix est venu protéger le terroir. Depuis longtemps déjà des croix ont été placées aux quatre vents, façon de rappeler la puissance des éléments. 
Le recteur Rouanet  réalise son projet, approuvé par l’évêque, de remplacer ces signes protecteurs, fait de bouts de bois qui pourrissaient aux intempéries, par des croix en pierre qui ont un caractère d’éternité. Cela est fait par respect de la Sainte-Croix et afin d’obtenir sa bénédiction.
 
Le choix d’implanter une croix, d’abord à la «  molino à vent », est symptomatique du rapport aux éléments naturels. En ce lieu, soufflent avec violence le Cers et les vents de l’hiver. C’est le coté du « mauvais temps ».  Déjà, un peu plus loin, sur ce même chemin qui descend vers Moulin Neuf, prés l’ancienne limite séparant du terroir de Roumengoux, il y avait déjà la croix de Boulzanne. Mettre en place une protection intermédiaire, qui n’est pas contrairement aux autres placée à un carrefour, ne se conçoit que dans son objet, protéger le village contre le mauvais temps.
 
L’implantation des croix ne devait rien au hasard. Au 17eme siècle au moins sept chemins partaient de Tréziers. Quatre avaient été retenus. On les disait aux quatre vents. Il y a notamment deux vents qui règlent le temps à Tréziers : l’Autan qui vient de l’est, et le Cers d’ouest. Leurs souffles se superposaient quasiment à l’axe pointant vers la Terre Sainte, le même qui conduisait à orienter vers le levant le chœur des églises. Ainsi le cheminement des quatre processions dessinait un virtuel signe de croix, de l’est à l’ouest, du midi au nord.
 
1855
Les processions dans le village, dont celles des rogations, imprégnaient fortement la vie sociale. 
Pour preuve le 04 novembre 1855 le maire Joseph Bénet ancien soldat de l'Empire annonce que le Préfet propose dans une circulaire de financer un atelier de travail en vue de donner de l'occupation aux classes ouvrières et aux indigents. Dans la commune de Tréziers environ 25 individus sont sans travail l'hiver. Il propose de les employer  à la réparation du chemin processionnal.. Ils seraient payés par la dotation de sa Majesté l'Empereur des Français.
 

 
1940-50
A la fin du vingtième siècle, pour les plus anciens du village, le souvenir de ces processions, qui chaque printemps, cheminaient jusqu’aux confins du terroir de Tréziers, s’était bien estompé. Ils se rappelaient un peu des cérémonies de leur enfance. Sous le ministère de l’abbé Marty, les rogations ont vu leur cortège devenir moins fourni. Après la première guerre, le village c’est dépeuplé, la religion moins omniprésente. L’habitude fut prise d’aller de moins en moins loin. On s’en tenait aux croix les plus proches du village. Elles sont aussi les moins anciennes. Elles datent pour la plupart du dix-neuvième siècle.
 
 

ISSN : 1626-0139 

20/10/2021

 
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