ELECTION LEGISLATIVES 1869

Les élections législatives de 1869 ont  lieu le dimanche 23 mai et le lundi 24 mai et  lundi 7 juin 1869. Elles sont organisées au suffrage universel masculin. Hommes de plus de 21 ans.
Cette élection est caractérisée dans la circonscription de Limoux par une lutte acharnée entre républicains et cléricaux. La commune de Tréziers ne fut pas en reste, maire et curé s'affrontèrent sans retenue.

LES PROTAGONISTES A TREZIERS
JACQUES RAULET
Agé de 46 ans, il est maire de Tréziers depuis 1860. Il a pour adjoint Pierre Deumié propriétaire du château de Tréziers. Dans le langage populaire du village il y a les révolutionnaires ou républicains et les royaliste ou cléricaux. Jacques Raulet est clairement républicain. Lorsque le 15 mai 1866, au milieu des célébrations dédiées la vierge,  il inaugure la nouvelle fontaine à l'entrée Est du village elle se nomme  "la fontaine de la Nation"
PHILIPPE DANTOINE
Agé de 44 ans, il est curé de la paroisse de Tréziers depuis 1856. Son père était boulanger à Chalabre. Il vivait avec sa mère qui décédera en mars 1868. Il a comme servante Françoise Sérié 52 ans veuve Viguié qui eut comme tuteur Bernard Sérié. Il est dans une paroisse difficile. L'église  tombe en ruine. en 1852 le conseil municipal s'était engagé a financer des travaux. En 1856 l'évêque en visite avait constaté la gravité de la situation . Le mur de la grange du presbytère menace de s'écrouler.
JEAN  SERIE
Jean Bernard Série, prénom d'usage Bernard, a 50 ans, il est menuisier. Deux de ses ancêtres, Antoine Carrié et Charles Clergue, sont enterrés dans l'église Saint Martin de Tréziers en raison de leurs dons et obits en faveur de la paroisse. Jean Sérié un proche de l'abbé Dantoine qui emploie sa niéce.
LES CANDIDATS
ISAAC PEREIRE
Isaac Pereire a 63 ans. En 1863 il fut élu député, des Pyrénées Orientales. C'état un grand financier et un entrepreneur. Il était administrateur de la Compagnie des Chemins de Fer de Paris Lyon. Avec son frère, il avait créé la Compagnie de Chemins de Fer du Midi. Il fut le promoteur du chemin dans la région. En 1962 le conseil municipal de Tréziers se félicitait de la mise en concession de la ligne Carcassonne-Quillan à la Cie de Chemins de Fer du Midi
En 1869, Isaac Pereire renonce à se présenter à nouveau dans les Pyrénées-Orientales.
Il sera candidat aux élections à Limoux, 3e circonscription de l'Aude, face à Léonce de Guiraud.
LEONCE DE  GUIRAUD
Léonce de Guiraud âgé de 40 ans est le fils d'Alexandre de Guiraud qui descendait d'une famille de riches marchands de Limoux. Son père né Guiraud était un poète et dramaturge reconnu, qui fréquentait les salons de la Restauration. Le Roi Charles X le fit baron, Il devint académicien par faveur. 
En 1862 Léonce de Guiraud épousait Adèlaïde Benoist de Laumont 22 ans. Il vivait au château de Villemartin  à Gaja-et-Villedieu.
Au mois de janvier 1868 il fut élu conseiller municipal de Limoux.
LA CAMPAGNE ELECTORALE
Depuis le 21 décembre 1851. Napoléon III est Empereur. Dans la commune de Tréziers il a été largement plébiscite: 54 votes pour, 2 contre. Le député Louis Alengry, de la majorité impériale, a été élu à l'unaminité 56 vois sur 56,cela confirme le soutien de Tréziers à l'Empire
Depuis un an (11 mai 1868) la loi sur la presse a abolit toutes les mesures préventives (censure). Puis celle du 6 juin 1868 supprime les autorisations préalables pour les réunions publiques, sauf celles religieuses ou politiques. Toutes fois  la liberté des réunions électorales est reconnue. Cela a permis une renaissance de la vie politique avec une presse libre et des réunions publiques.
Se présentent : M. Detours, ancien maire de Limoux, juge de paix est le candidat officiel du gouvernement à Limoux. Gadrat candidat libéral catholique, M. Félix Aubertin ancien sous préfet de Limoux pendant 12 ans et le baron Léonce de Guiraud.

Léonce de Guiraud est le candidat des cléricaux. Pour éviter la dispersions des voies républicaines et libérales qui assurerait le triomphe des cléricaux opposés à l'Empereur, un certain nombre de notables vont se rendre à Paris consulter le ministre de l'intérieur. Les candidats libéraux décident de se désister pour une personnalité dont la notoriété devrait agréger les votes anticléricaux.
Isaac Péreire ancien député de Perpignan, qui a beaucoup œuvré pour le développement de la région leur paraît tout indiqué. Ils vont le convaincre. En mars 1869 il accepte à la condition que le gouvernement reste neutre. 
Dans la 3éme circonscription de l'Aude, celle de Limoux, la campagne électorale fut violente, divisant le pays en deux clans irréductibles.
Les soutiens d'Isaac Pereire étaient intervenus auprès du ministre de l'intérieur pour obtenir une bienveillante neutralité. Il leur avait promit la neutralité du gouvernement. Il avait envoyé des instructions en ce sens au préfet de Carcassonne qui les suivit. Ce dernier les interpréta comme un à priori favorable. Il envoya aux maires un note : celui-ci (Pereire) a les sympathies du gouvernement et je vous invite à lui accorder votre appui.
La position du sous préfet de Limoux ,M de Brolac, fut plus équivoque. Son active propagande en faveur de Guiraud contrevenait aux règles de neutralité. Le Préfet se résolu à intervenir. Il envoya une circulaire aux maires pour leur demander leur appui. Au moment le plus critique, au mois de mai, le sous préfet M de Brolac  se mit en congé pour quinze jours. M. Aubertin, qui n'appartenait plus à l'Administration, assura l'intérim. Il profita de son court passage au pouvoir pour tenter d'influencer les maires en soutien de Pereire.
 
Les cléricaux étaient partis en bataille !
L'évêque de Carcassonne Mgr de La Bouillerie, d'origine aristocratique, était un royaliste légitimiste, partisan  de la lignée de Charles X. Il était hostile à Napoléon III. Il encourageait donc les curés à prêcher en faveur des candidats royalistes. L'évêché par une circulaire adressée aux doyens disait que l'élection d'un juif serait une honte pour le pays. Il leur était demandé de tout faire pour l'empêcher. Il leur recommandait de travailler au succès de la candidature de M. Guiraud.
Interrogé par le candidat Isaac Péreire M. de la Bouillerie ne cacha pas son action, il répondit : que les intérêts de la foi, ne lui avait pas permis de rester indifférent et, de garder le silence, il avait chargé l'un de ses vicaires généraux d'écrire cette lettre.
A Tréziers l'abbé Philippe Dantoine s'appliqua à suivre ses instructions.
Dans ses prêches, bien sur, il faisait la propagande de Guiraud s'en prenant violemment au juif ennemi de l'Eglise. Le maire Raulet rapporte qu'on le vit courir toutes les portes du village en l'absence des hommes partis aux champs. On le vit prendre, entre les mains de leurs femmes, les bulletins de M. Pereire qu'il déchira les uns après les autres, pour les remplacer par des bulletins de son adversaire de Guiraud. Le maire rapporte aussi que l'abbé  avait l'habitude d'agir dans l’ombre, ainsi à travers les jardins du village pour arriver en tapinois à la porte de la mairie, qui donne dans la campagne, et venir coller une oreille indiscrète aux conversations qui se tenaient, dans la salle de la mairie.
Le maire Jacques Raulet soutenait le candidat libéral Isaac Péreire il était secondé par le maître d'école Jacques Bastide et une bonne partie des conseillers.
Une semaine avant l'élection, le dimanche 13 mai, il organise une réunion de soutien à Perreire semble t'il au même moment où l'abbé avait invité des paroissiens pour soutenir Giraud.
Cet événement va provoquer la fureur de l'abbé qui va faire signer une lettre diatribe à Jean Sérié :

"M. le maire, dans son affectueuse reconnaissance pour ses dociles administrés, a voulu leur procurer le régal de quelques pains blancs et d'une barrique de bon vin.
Le festin a été annoncé la veille au son du tambour sous le titre de rafraîchissement, et le lendemain, après-midi, le tambour ayant battu encore, et le pain et le vin étant installés sur la place publique, M. le maire a dégusté le premier le précieux liquide qui réjouit. le cœur des mortels, et la fête a commencé alors avec le plus parfait entrain. On a vu peu après des femmes vociférer et courir les rues comme des bacchantes, des enfants de cinq ou six ans pris de vin, des jeunes gens chancelant sur leurs bases, et ceux qui sont par leur caractère les gardiens des mœurs publiques, le maire et l'instituteur, présidant gaiement à ces orgies et, les encourageant de la voix et du geste."

L'ELECTION  DU 23 et 24 MAI 1869
La commune de Tréziers au recensement de 1866 avait 186 habitants dont 100 hommes. La liste électorale comptait de 56 citoyens
Ils y avaient deux candidats Isaac Péreire et Louis de Guiraud. Seulement huit électeurs votèrent Guiraud

LES CONTESTATIONS
A Treziers l'abbé Philippe Dantoine était furieux. Seulement huit électeurs avaient suivi ses directives. Une large majorité avait voté Pereire.
Décidé à réagir le 16 juin il écrit une lettre polémique qu'il fait signer par Jean Sérié. Il la fait publier dans le journal L'Emancipation.
Il dénonce des libations abondantes, distributions de pain, de vin et quelquefois de viande et de fromage, le tout en public, avec mélange des sexes, admission des  enfants en bas âge tenues pour appeler à voter Pereire.
C'est dans toute la circonscription que des protestations alléguant des fraudes  sont portées par les soutiens de Giraud
Leur argument principal est que Léonce de Guiraud est le candidat officiel, l'enfant du pays, soutenu par le maire et les notables de Limoux .
Au mois de décembre l'Assemblée Législative à Paris se saisit de la querelle.
M. de Guiraud et ses amis prétendent que le pays voulait choisir son représentant parmi ses enfants et que M. Pereire s'est imposé dans cette élection en violant les vœux de la circonscription. Une profusion de témoignages censés prouver des irrégularités sont apportés à la connaissance de l'Assemblée. Au moins 200 pièces en 8 dossiers sont présentés. Double des clés des urnes, achat de votes, bourrages des urnes, de multiples témoignages, dont celui du curé de Tréziers, sont exposés
Concurremment la défense de Péreire dénigre ces documents et présente d'autres pièces contradictoires.
 
C'est surtout l'affaire des doubles clés qui va enflammer les débats. Comme les élections se déroulaient sur deux jours le préfet avait demandé que l'on munisse les urnes de serrures. Guiraud plaida que plusieurs maires avait fait confectionner des doubles de clefs permettant de fausser le contenu des urnes.
 
Le lundi 3 décembre le bureau de l'Assemblée ,avec cette accumulation de preuves et de contre preuves, peine à trancher. Les fêtes de fin d'année approchent, il faut en finir. Les députés demandent la clôture de la discussion.
M Schneider Président de l'Assemblée met aux voix les conclusions du bureau. Elles sont rejetées, par 130 voix, 31 contres. L'élection dans la 3eme circonscription de l'Aude est annulée.
NOUVELLES ELECTIONS 6 ET 7 FEVRIER 1870
Le quotidien Le Gaulois du 11 janvier 1870 publie : M. Pereire ne se tient pas pour battu. Des agents du black-boulé de la chambre ont paru à Carcassonne. M Pereire est décidé à se reporter candidat. Ses partisans viennent d'envoyer un cartel au candidat Guiraud.
 
A Tréziers l'abbé Dantoine quitte la paroisse, ce qui ne pouvait que réjouir le maire. En septembre arrive un nouveau curé, Jean Pierre Laborgne. Il vient de Palaja où il c'est fait remarquer par ses prêches contre le "juif Pereire". Ses rapports avec le maire seront tout aussi violents qu'avec son prédécesseur.
Pour ces élections du dimanche 6 et lundi 7 février seulement deux candidats Léonce de Guiraud et Isaac Péreire. Le combat entre cléricaux et libéraux fut aussi acharné.
Cette fois ci se fut Guiraud qui l'emporta avec 10313 voix contre 8084 à Pereire. Cependant Péreire reste majoritaire dans le canton de Chalabre
Péreire va tenter de contester l'élection. Le 11 mars 1870 le journal le Constitutionnel rapporte les débats tenus la veille à la Chambre. La demande déposée est considérée comme nulle et non advenue. M. de Guiraud prête serment et est déclaré admis.
Furent élus 283 députés. Les bonapartistes, remportèrent 212 sièges. L’opposition, remporta 71 sièges.
Léonce de Guéraud fut député dans le groupe d'opposition à l'Empereur du 6 février 1870 au 04 septembre 1870
EPILOGUE
 
Le 19 juillet 1870 l'Empire français déclare la guerre au royaume de Prusse.  A Sedan le 02 septembre l'empereur est défait et capitule. le 04 septembre à Paris la IIIème République est proclamée.
 
Léonce de Guéraud fut député du 8 février 1871 au 28 juillet 1873 au centre gauche. Il mourut à Paris le 23 juillet 1873 à l'âge de 45 ans
Isaac Peréire se retira de la vie politique. Il mourut le 12 juillet 1880 à Gretz-Armainvilliers.
 

07/02/2024